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Libye Zenten : retour en terre rebelle

RETOUR EN TERRE LIBYENNE


« Maison, maison » hurlent quelques jeunes tunisiens assis sur le bas-cote de la route aux voitures arborant des plaques d immatriculation blanches. Pas de doute possible, il s agit des refugies libyens qui passent en masse sur cette route du sud de la Tunisie. Beaucoup cherchent en effet un logement. Depuis le debut du conflit libyen, ils seraient ainsi 70,000 a avoir franchi la frontiere pour venir se refugier chez le voisin de l ouest. Tous fuient les combats, les bombardements, les destructions. A Teboulbou, distant de plus de 200 kilometres de la frontiere, un brouhaha anarchique s echappe d une petite batisse. Gérée par un comite local, un ravitaillement s y deroule chaque jour. Son directeur, Atiga, s inquiete toutefois de la situation. « Meme si le nombre de famille tend a baisser, elles etaient 600 a la mi-mai, elles ne sont plus que 400 aujourd hui, la question de l approvisionnement devient de plus en plus compliquee. Il y a un gros transfert de marchandises vers la Libye a des prix vertigineux et la penurie guette. »
Comme tous les matins, Ahmed Lela est venu. Calme, imposant, Ahmed a 56 ans, des cheveux blancs et un buste legerement courbe. Mais son regard est si profond, l eclat de son visage si intense qu il parait une figure sans age. Tous, ici, l appellent « Hajj » par respect pour le pelerinage qu il a effectue a La Mecque. Comme beaucoup de libyens venus s installer dans la region, il est originaire de Zintan, la grande ville du massif de Nefoussa, a 3 heures de voiture de la frontière tunisienne, qui a subi attaques et bombardements repetes a la fin du mois de mars dernier. « Je suis venu avec ma femme et mon fils cadet de 12 ans, Moktar. J ai quitte ma maison au mois d avril dernier. Deux de mes fils y sont encore. Je fais donc des allés et retours pour leur apporter de la nourriture et surveiller l evolution de la situation. »
D ailleurs Ahmed s y rend demain avec Moktar. Il partira aux aurores. La route est longue et peu sure. Le lendemain matin, apres quelques courses et un arret rapide a Tataouine, ville frontiere ou réside son frere, le poste de douane apparait. Une longue file d attente de voitures s etire pour entrer en Tunisie. On entend deja les bombardements et les odeurs de poudres poussees par les vents chauds. Les taches administratives sont plutot rapides et une longue route, droite et seche, se profile. De la rocaille a perte de vue.
Moktar connaît le chemin par cœur. Si silencieux jusque la sur les routes tunisiennes, le voici qui ne cesse desormais de parler, annonçant les positions du moindre cadavre de tank, de voitures explosees et de trous dans l asphalte. Il donnerait presque l impression de faire visiter sa chambre. Il a mis sa casquette tricolore de la rebellion, verte, rouge et noire, frappee de l etoile et du croissant. « Il veut chaque fois m accompagner. Il veut etre un rebelle, comme ses freres, » lance son pere.
Passee la frontière, toutes les voitures s elancent a vive allure. Cette route a deja acquis une certaine renommee. La voici qui descend et c est une partie ou il est conseille d eteindre ses phares, la nuit, pour eviter les attaques. La voici qui tourne et, selon les dire du « hajj », les possibilites d attaques montent a « 50% ». Les airs traditionnels emplissent la voiture, rugis par la radio « Libye Liberte » alors que la montagne libyenne, désertique s elance, puis s arrete. Abrupte. On distingue alors la longue plaine qui va jusque a Tripoli. « En bas, c est l’armee Kadhafi. Depuis ces positions, elle nous bombarde », pointe-t-il du doigt. Bientot, les « check points » se multiplient à echeance reguliere. Un bref regard, un leger signe de main et finalement nous passons. A la difference du dernier. Celui de l entree dans Zintan, bien plus serieux. Les barricades sont plus hautes, les militaires plus nombreux et mieux armes. Il faut descendre et enregistrer notre entree.
«  L Etat libre de Zintan» clame fierement « Hajj. » Un semblant de vie regne dans la ville. Quelques vendeurs de legumes, de rares commerces aux rideaux leves tranchent avec les volets fermes des maisons. Les combattants sont eux a tous les coins de rue, comme les pickups surmontés de leur imposante batterie d armes. Les drapeaux de la « Libye libre » flottent partout, les casquettes tricolores sont sur toutes les tetes. Enfin, voici la maison d Ahmed. Ils retrouvent ses fils, sans effusion. « As tu manque de quelque chose ? » Une poignee de main virile, franche. C est la Libye. C est la guerre. « Ce sont des hommes, ils font leur devoir d homme. » Du haut de leur montagne, ils defendent leur maison, leur famille, leur foyer. Le premier des fils, Mohamed a 23 ans. « Avant la guerre, j etais etudiant en ingenierie civile mais aujourd’hui je suis journaliste sur Facebook. Je m occupe des articles, des photos et des videos. Mon travail est ensuite repris par les chaines generalistes » nous annonce t-il fierement tout en designant un spot qui passe à la television. «  C est moi qui l ai tourne sur le front. On est une petite dizaine a nous occuper de cela. S il y a des risques ? Je pars c est tout. » Quant a son autre fils, Ali, 17 ans, il s entraine tous les jours a l academie de police dont il va sortir dans les tous prochains jours. « Il n y a pas assez de policier aujourd hui. Tout repose donc sur notre generation, » declare t-il.
Ahmed est deja ressorti. Il entame comme chaque fois qu il vient, son petit tour de ville. « Pour voir ce qui a change, verifier les dommages que l on m a annonce, me tenir au courant des deuils. » « Ici un missile est tombé », « la, une maison s est ecroulee » fait-il le detail. Le petit tour se termine par une visite a l un de ses neveux dans une petite maison qui abrite « les combattants au repos». Avec ses freres d armes, Hamza, 25 ans, est rentré du front au petit matin. A moitie endormis sur les quelques matelas jetes par terre, un ventilateur souffle quelques courants d air chauds. Ils ont pose leur kalachnikovs contre les murs. Ils sont jeunes pour la plupart, entre 15 et 25 ans mais leur maturite est frappante. Au-dela du maniement des armes qu ils ont acquis tres tot, tous ont conscience des objectifs. « La liberté. » « Au debut on avait peur mais maintenant on fait comme si on etait deja mort. On a pris l habitude et aujourd hui on avance, » concluent-ils en cœur. Le plus âge du groupe qui se presente comme un sniper ayant combattu sous les ordres de Kadhafi lors de la guerre au Tchad dans les annees 80, conclue. « Kadhafi a toujours eu peur de Zintan, la grande ville des montagnes. Des lors au moment ou Bengazhi s est souleve, que les rebelles ont commence a avancer, il nous a propose 1000 dinars et des armes. Les familles de Zenten ont refuse. Les bombardements ont commence. » Tous estiment la victoire proche. « Dans un mois. » Pourtant, leurs avancees donnent le sentiment de progressions lentes et limitees, au rythme des prises de pick-up et des luttes soudaines au corps à corps « Souvent, on marche et tout a coup on croise des soldats. Et la, c est comme dans un western. On se regarde et c est au premier qui tirera. »
Le soir est tombe. Toute la famille se retrouve autour d un diner sur le grand tapis du salon. Le hajj enleve sa longue robe traditionnelle libyenne, laissant decouvrir de solides epaules et un corps d athlete. « La nouvelle generation ne porte jamais ces habits. Nous, quand on n est pas en treillis, c est jean basket» sourient les fils. Puis « Hajj » annonce. « Demain il faut repartir. Je dois retourner aupres de ma femme, restee en Tunisie. »
En partant, le père s adresse a ses fils. « Faites attention a vous les enfants. » « Ne t inquiete pas Papa » lui repondent-ils. La voiture demarre, soulevant dans un nuage les sables poussiereux. Au bord de la route, un groupe d enfants defile, drapeau de la Libye Libre en tete. Un jeune soldat, assis sur le rebord d un petit muret, beret du Che sur la tete, pied bande et canne a la main, sourit comme amuse. Ahmed Lela ne ramenera pas encore sa famille. « Ce n’est pas encore assez sur. Je suis content de voir que la vie revient un peu. Mais tout peut brusquement recommencer. La ville peut à nouveau etre encerclee et les missiles retomber. »

Ahmed, refugie libyen a Teboulbou, petite ville tunisienne distante de 200 km de la frontiere libyenne, vient se ravitailler aupres d un comite de soutien.